José Quitin, l'éminent musicologue, déplorait un jour qu'on ait "oublié" de commémorer, en 1969, le 150e anniversaire de la naissance du grand violoniste belge Hubert Léonard. En 1970, écrivait-il, on s'apprêtait tout de même à commémorer celui d'Henri Vieuxtemps. L'année dernière, en 1997, nous avons eu le privilège de commémorer cette fois le 150e anniversaire de la naissance d'un autre grand représentant de ce que d'aucuns ont appelé l'école franco-belge de violon, Martin Pierre Marsick, si célèbre en son temps, malheureusement si peu connu de nos jours.
Martin-Pierre au violon
Au siècle dernier, on le sait Liège et ses environs constituaient une véritable pépinière de grand violonistes. Qu'on en juge d'après la liste, du reste très partielle, fournie en annexe 1.C est un fils prodigue en tout cas, qui, le samedi 30 avril 1887, inaugure en compagnie de trois autres violonistes liégeois - Rodolphe Massart, César Thomson et Eugène Ysaÿe, la nouvelle salle de concert du Conservatoire de Liège, rue Forgeur (boulevard Piercot).
Thomson, Rodolphe Massart,
Eugène Ysaÿe
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En première partie du concert, une oeuvre de circonstance, le poème lyrique Patria ; en deuxième partie, quelques oeuvres dont le concerto pour quatre violons, de Maurer, ainsi qu'une rêverie pour violon, de leur célèbre compatriote Henri Vieuxtemps ; en troisième partie la Neuvième Symphonie de Beethoven.
Une soirée qui s'est terminée fort tard, mais qui fut très émouvante pour tous, en particulier pour Martin-Pierre Marsick qui, à quarante ans, est presque au faîte de sa carrière. Quelle chemin parcouru depuis son enfance terne et plutôt pauvre à cette consécration publique de son talent et de sa renommée...
Les origines
Liège
[...] C 'est à Jupille-sur-Meuse, à quelques kilomètres de Liège, que nait Martin Pierre Marsick le 9 mars 1847. Le père, ferblantier de son état, a 28 ans ; la mère, 24 ans. C'est le 5è enfant d'une famille qui, en 1868, en comptera 18 (une progéniture qui, si elle surprend aujourd'hui, n'en est pas moins typique des grandes familles catholiques de l'époque). Curieusement, les enfants Marsick ne sont pas baptisés à l'église de Jupille, mais plutôt à la basilique Saint-Martin, à Liège. On dit aussi que Martin Pierre fait partie de la chorale de la basilique, de même qu'il ferait partie de la maîtrise de l'église Saint-Paul.
Martin-Pierre Marsick ne garde pas de bons souvenirs de son enfance, tout au contraire. Sur le plan matériel, la vie devait certes être rude dans la famille Marsick, et on se demande bien comment le père réussit à envoyer un premier enfant, Louis, puis Martin Pierre et plus tard, l'une de ses filles au Conservatoire Royal de Musique.
© archives Jacques Marsick
C'est à l'age de sept ans que Martin Pierre y est admis, le 2 décembre 1854. "Je suis satisfait de cet enfant", écrit dans son rapport de novembre 1856, M.Decortis, professeur de flûte. Chétif, de faible constitution, le petit garçon rejoint Louis, son frère aîné qui, lui, a fait son entrée au Conservatoire un an plus tôt. C'est un petit bout de chou qu'on dit très intelligent, et qui n'a sûrement pas manqué d'être impressionné par l'auguste établissement qu'est l'Université de Liège et qui abrite à cette époque le conservatoire, place du Conservatoire - aujourd'hui place Cockerill. Personne ne se doute alors que ce petit bonhomme inaugurera, quelques trente ans plus tard, à titre de personnalité invitée, la salle de concert du nouveau Conservatoire.
Pour l'heure, Martin Pierre est inscrit dans les classes de flûte et de solfège. le pauvre enfant est déclaré nul en théorie... ce qui ne l'empêche toutefois pas d' obtneir un Second Prix en 1856 et un Premier Prix partagé en 1857. En mars de cette même année 1857, Martin Pierre a fêté ses dix ans ; en juin, il a été admis dans la classe de violon de M. Dupont, premier pas dans sa formation de violoniste virtuose. De 1857 à 1861, le jeune garçon travaille bien et fait des progrès, en dépit de "doigts faibles" et de "raideur dans le bras droit" (archives du conservatoire Royal de musique de liège, la remarque est interessante car aux dires de tous ceux qui l'on entendu jouer, la force de Martin Pierre résidait dans son bras droit).
Il obtient un accessit en 1860, au moment où son frère Louis obtient, lui, son Premier Prix.
Puis Martin Pierre Marsick passe dans la classe de Désiré Heynberg, un Liégeois qui a formé bon nombre de grands violonistes. En dépit d'un Second Prix partagé en 1862, Heynberg trouve que Martin Pierre n'est pas à son affaire, qu'il ne travaille pas. Celui-ci s'absente d'ailleurs beaucoup plus souvent que la moyenne des autres élêves , et ce, pour des motifs qui ne sont pas toujours justifiés...
Malgré tout, le jeune garçon ne chôme pas : il cumule des leçons d'instruments à archet, d'harmonie, de piano et d'orgue. MM. Duguet et Jalheau , professeurs respectivement d'orgue et de piano, sont du même avis que leur collègue : Martin Pierre "ne fait absolument rien". Période d'adolescence peut-être ? Quoi qu'il en soir, en 1863, le jeune Marsick se reprend, et sa prestation est brillante aux concours de cette année-là : Premier Prix de violon, avec distinction ; Second Prix d'harmonie ; Premier Prix Accessit d'orgue.
Deux ans plus tard, il termine ses études au conservatoire avec un Second Prix partagé d'orgue et, pour le violon, la plus haute distinction, la Médaille en Vermeil, qu'il obtient avec la plus grande distinction (33 ans plus tard, en 1897, son neveu Armand, le fils de Louis, maintient la tradition familiale et obtient la même distinction au Conservatoire de Liège. Désiré Heynberg , son professeur aurait ainsi "obtenu" sa première et sa dernière medaille de vermeil grâce à un Marsick...).
Le départ de Liège
par Replin
Entré à sept ans au Conservatoire, Martin-Pierre Marsick quitte l'établissement à l'âge de 18 ans, en route pour Bruxelles où il continuera ses études auprès d'Hubert Léonard, sans doute l'un des plus grands pédagogues du violon. On sait malheureusement peu de choses sur ses études à Bruxelles. Mais ses resultats sont suffisamment brillants pour susciter l'intêret de la comtesse de Mercy-Argenteau, née princesse de Caraman-Chimay, reconnue pour son mécénat dans le domaine musical. C'est grâce à elle qu'il pourra poursuivre ses études à Paris.
C'est sans regrets que Marsick quitte sa terre natale. De toute façon, on le sent dans toutes ses lettres, Martin Pierre, a peu d'affection pour sa famille ( sauf pour son frère Louis et plus tard pour le fils de celui-ci Armand). En 1924, quelques mois avant sa mort, il écrira à son neveu : "... et puis, mon cher Armand, tu n'étais pas né pendant ma triste enfance, et je ne fus tiré de cette boue que lorsque la Ctesse Eug. de Mercy apparut à mes yeux éblouis, j'avais alors 16 ans, et mon enfance était finie. Mais il y eut bien d'autres tristesses à l'actif de ma vie. Inutile de remuer ces souvenirs, et tu seras bien gentil de ne jamais m'en parler. "
Il a déjà pris ses distances en partant pour Bruxelles, et c'est un jeune homme ambitieux, presque un jeune Rastignac balzacien, qui se lance maintenant à l'assaut de Paris et d'une nouvelle vie. En juin 1868, il est admis - suprême honneur - dans la classe de Lambert Massart au Conservatoire National Supérieur de musique de Paris, sur recommandation de M. Auber, le directeur et de la Comtesse de Mercy-Argenteau (archives du conservatoire de Paris, cote AJ 37 388, p406).
La classe de Lambert Massart est l'une des plus célêbres du Conservatoire. Seuls les élêves très talentueux y sont admis. Massart note que Martin Pierre "a des qualités supérieures et fera certainement honneur au Conservatoire". En juillet 1869, c'est chose faite : le jeune homme de 22 ans, seul étranger inscrit au concours, obtient un premier prix ( ex-aequo ) à l'unanimité. Il reçoit 100 francs, une somme considérable au XIXe siècle, et sans doute aussi un violon, comme il est d'usage à l'époque (curieusement les archives sont muettes sur ce point, pour la seule année 1869).
Martin Pierre a terminé ses études -qu'il complètera toutefois par un bref séjour auprès de Joseph Joachim, à Berlin. La carrière du jeune homme peut débuter.
Quelle fut-elle donc, cette carrière de Martin Pierre Marsick ?
Elle comporte deux périodes distinctes, bien que se chevauchant par moments : sa vie de virtuose et sa vie de professeur. Notre violoniste mène aussi en parallèle une activité de compositeur, un aspect que nous aborderons en dernier lieu.
Marsick, le virtuose
"Je tiens cet artiste pour le premier violon de Paris et de mille autres lieux. Et dire que c'est un Belge, un liégeois, un mien concitoyen ! j'en suis fier ! "
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Ce "concitoyen" n'est autre qu'Henri Vieuxtemps qui, en novembre 1875, entend aux Concerts Pasdeloup le jeune Marsick interpreter son Concerto en mi majeur . Le grand violoniste est ravi, et ses commentaires élogieux font rapidement le tour du milieu du milieu musical, accopagnant le concert d'éloges qui accompagne déjà le jeu du jeune virtuose.
Bien amorcée, la carrière de Martin Pierre Marsick s'échelonnera par la suite sur une vingtaine d'années environ, de 1875 à 1895. Il est d'abord très demandé dans les concerts dirigés par Charles Lamoureux (les Nouveaux Concerts), par Jules Pasdeloup (les Concerts Populaires) ou par Edouard Colonne (les Concerts Colonne), trois chefs qui, à l'époque, forment un puissant triumvirat dans le monde musical parisien.
On l'entend aussi beaucoup aux Concerts du Conservatoire, dont le prestige est grand à cette époque. Comme on peut s'y attendre, son repertoire se compose des grandes oeuvres écrites pour son instrument : il joue les concertos de Bach, Beethoven, Bruch, Lalo, Mendelssohn, Saint-Saëns, Tchaïkowski , Vieuxtemps, Widor, Wieniawski.
Mais c'est en formation de chambre que Marsick donne la pleine mesure de son talent. Qu'il joue la Sonate de Fauré (op.13) ou celle de Saint-Saëns (op.75) -qui lui est du reste dédiée-, qu'il interprète le Premier Trio de Chaminade - qui lui est également dédié-, ou un trio de Lalo, ou encore qu'il crée le Quintette de Franck, il est de tous les concerts importants.
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C'est surtout à la société nationale de musique qu'on l'entend, principalement de 1876 à 1886. Il serait malheureusement trop long de relater ici l'origine de cette société créée en 1871, au landemain de la guerre franco-prusienne . Qu'il suffise de rappeller sa devise, Ars Gallica , et de dire qu'elle eut sans contredit une grande influence sur le rayonnement de la musique française de la fin du XIXe siècle. Non seulement Marsick s'y produira frequemment , mais il en sera sociétaire à partir de 1877, admis sur la foi de compositions qu'il a soumises. C'est aussi de cette époque que date la formation du Quatuor Marsick qui allait rapidement devenir l'un des plus célèbres et des meilleurs de la capitale. Au cours des ans, ses membres changeront un peu : Martin Pierre Marsick (violon 1), Guillaume Rémy ou Richard Loys (violon 2 ) , Louis Van Waefelghem (alto) et Jules Delsart ou André Hekking (violoncelle). Marsick forme aussi quelques quatuors ad hoc, notamment avec Joseph Joachim, son ancien professeur, lorsque celui-ci est de passage à Paris en 1886, ou des trios entre autres avec le célèbre violoncelliste russe Anatole Brandoukoff et le non moins célèbre pianiste Wladimir de Pachmann .
Le répertoire du Quatuor Marsick est des plus intéressants comme par exemple les derniers quatuors de Beethoven alors considérés comme des oeuvres d'un abord difficile.
Le dernier quart du XIXè siècle, c'est aussi la grande époque des salons de musique dont l'influence est considérable sur le développement de la musique de chambre française. Dommage qu'ils souffrent encore d'une si mauvaise réputation... On peut les répartir en trois grandes catégories : les salons de type aristocratique, ceux de type bourgeois et ceux de type artistique (voir à ce sujet Cécile Tardif, "les salons de musique à Paris sous la Troisième République, mémoire de maîtrise, Montreal , Université de Montréal, 1994, 114 p.)
1857-1944
1821-1910
Marsick les fréquente tous assidûement, mais ce sont ses prestations dans les salons de type artistique qui sont les plus interéssantes . On le voit d'abord chez les Chaminade, des voisins et amis du Vésinet ; puis chez Camille Saint-Saëns ; puis chez le violoncelliste Charles Lebouc, dont le nom a sombré dans l'oubli, mais qui tenait l'un des salons les plus courrus de la capitale ; puis chez le pianiste Louis Diemer , où il reprendra entre autres pour la seconde et dernière fois du vivant de Saint-Saëns - le Carnaval des animaux, créé en 1886 lors du mardi gras annuel chez Charles Lebouc. On le voit aussi chez la cantatrice Pauline Viardot, dont le salon attire tous les grands noms du milieu musical français ou étranger : Lizt est un habitué, Fauré a été fiancé à l'une des filles de Pauline, Saint-Saëns se dit amoureux de la maitresse des lieux, de même que Tourgueniev, Verdi fréquente aussi le salon de la rue de Douai...
Un billet adressé par cette dernière à Martin-Pierre Marsick donne une idée à l'atmosphère qui règne en ce salon. Réunir Tchaïkowski , Brandoukoff , Viardot et Marsick pour un petit concert "sans façon", qui dit mieux ?...
Une tournée en Amérique
C'est au cours d'une tournée en Amérique, en 1895-1896, que Martin Pierre Marsick atteint l'apogée de sa carrière de violoniste. Il a déjà fait des tournées, notamment en angleterre et en Russie où il a obtenu un succès considérable. Mais au tournant du siècle, rien ne peut rivaliser avec une tournée dans le Nouveau Monde, à la fois sur le plan des retombées monétaires et de la renommée .
Arrivé en Amérique le 20 octobre 1895, Marsick entame une série de concerts qui l'amène de New York à San Francisco, en passant par Toronto et Montréal. Presque partout le même, le programme (concerto n°4 en ré mineur, de Vieuxtemps ; Concerto n°3, en ré mineur de Bruch ; Concerto pour violon de Lalo) est accueilli avec enthousiasme, à la fois par le public et par la critique qui sait gré au violoniste de ne pas chercher à attirer l'attention au détriment de la musique. Marsick plaît par sa grande musicalité. A San Francisco, toutefois, il se fait voler la vedette, car cette fois-ci son accompagnateur habituel a été remplacé par un "accompagnateur" plus connu ... Ignaz Paderewski !
San Francisco
"Martin Pierre Marsick and Ignaz Paderewski"
Marsick, le professeur
de Martin Pierre Marsick, 1892,
©Jacques Marsick
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Martin Marsick fut certes l'un des grands professeurs de violon de la fin du XIXe siècle. Il donne d'abord des leçons particulières : à 20 francs le leçon, c'est le professeur le mieux payé de Paris. On le dit exigeant, inflexible et quelquefois arrogant. Quoi qu'il en soit, en 1892 il est nommé professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, en remplacement d'Eugène Sauzay , admis ou plutôt ... mis à la retraite. C'est la consécration, dont témoigne le déluge de félicitations qu'il reçoit du monde musical.
Sa carrière y sera malheureusement brève - huit ans seulement, de 1892 à 1900 - mais fructueuse. Trois élêves en particulier lui assureront la gloire : Carl Flesch , premier prix en 1894 ; Jacques Thibaud, en 1896 ; Georges Enesco, en 1899.
© collection privée Pierre Marsick
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Jacques Thibaud garde de son maître le souvenir d'un homme sensible à ses difficultés matérielles, attentif à ses besoins, une épaule sur laquelle il peut s'épancher lorsqu'il n'obtient pas de prix à son premier concours. Bien qu'on ne puisse mettre en doute la sincérité de sa reconnaissance envers Marsick, le récit romancé qu'il fait de leurs relations, tout à fait dans le style hagiographique de l'époque, sera vivement pris à partie par Armand Marsick, qui écrit en marge de l'exemplaire qu'il possède des souvenirs de Thibaud : "tout ce récit est pure fantasmagorie ! il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela ! "
Georges Enesco, lui, n'aimait pas beaucoup son professeur. Toutefois, il n'hésite pas à lui donner son dû dans ses souvenirs : Cet excellent professeur, de garnde réputation, avait succédé, en 1892, à Eugène Sauzay. Il m'a appris à mieux jouer du violon et à connaitre certaines oeuvres " (source : "les souvenirs de G.Enesco ", ed . Flammarion, 1955).
C'est dans les souvenirs de Carl Flesch que l'on trouve les commentaires les plus détaillés, et, du moins nous semble-t-il, les plus impartiaux sur l'enseignement de Martin Pierre Marsick :
"C'est lui qui m'a enseigné à me servir de ma raison sans trahir l'esprit musical [...]. Il a veillé au développement de mon bras droit, m'a enseigné l'exécution des nuances. Il vait un style qui m'était très sympathique, et il m'a sensibilisé aux diverses possibilités d'expression qui jusque là sommeillaient en moi. Il m'a révélé un univers de sentiments dont je ne soupçonnais pas l'existence, et pour y avoir accès, je devais perfectionner ma technique". (The Memoirs of Carl Flesch, édités par Hans keller et C.F. Flesch, New York, Da Capo Press, 1979, p.66-67 traduction libre )
Il n'est pas facile de se faire une idée juste de la technique et de la façon de jouer d'un violoniste dont nous ne disposons d'aucun enregistrement . Il faut donc s'en remettre aux commentaires de ses contemporains ou de ses élèves. Nous avons vu tout le bien que Vieuxtemps pensait du jeu du jeune Marsick. Le compositeur russe César Cui, l'un des fondateurs du groupe des Cinq, l'a connu à Moscou et à Saint-Petesbourg . Il lui a dédié une Suite Concertante. Voici ce qu'il pense du jeu de Marsick : La technique de M. Marsick est très variée. Le son de son instrument est rond, ample, plein de chaleur ; la pureté d'intonation est remarquable et s'étend jusqu'aux sons harmoniques les plus élevés. La vélocité dans les traits est surprenante. Toutes les nuances lui sont accessibles depuis le sentiment le plus profond jusqu'à la joie la plus brillante, la plus folle. Mais ces contrastes sont ennoblis par un goût exquis et qui ne s'écarte pas des limites du vrai art." (La gazette musicale, janvier 1886)
de Jules Massenet suite à
la nomination au
conservatoire de
Martin-Pierre Marsick
©Jacques Marsick
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Carl Flesch précise à propos de son jeux :
"Sa force résidait dans sa technique de l'archet. Son bras droit était un médèle de développement physiologique, un instrument parfait, bien que dans son cas le staccato ait eu ses défauts. Il produisait un son enchanteur, était capable de moduler la sonorité, et jouait avec grande imagination, engageant toujours l'attention, sans tomber dans le maniérisme. Sa main gauche, par contre, semblait traîner, probablement à cause de ses débuts tardifs au violon. A certains moments, son intonation et ses changements de position manquaient d'assurance. [...] Mais à Paris, il était sans rival, surtout en ce qui concerne la musique de chambre." (The memoirs of carl Flesch , op.cit., p.65 trad. libre)
En 1900, la carrière de professeur de Martin Pierre Marsick prend fin brutalement, sur fond de scandale. En octobre 1899, Marsick avait officiellement demandé au directeur, Théodore Dubois, un congé de deux mois: "j'ai l'honneur, lui écrit-il, de venir vous demander la faveur de deux mois de congé, en janvier et en février 1900, pour me permettre de faire la tournée en Autriche-Hongrie et en Italie dont je vous avais déjà entretenu verbalement et au cours de laquelle j'exécuterai plusieurs oeuvres françaises, entre autre votre beau concerto de violon". (Archives Nationales lettre au directeur du conservatoire, 26 octobre 1899). Il obtient donc le congé sollicité, avec traitement, et quitte la capitale, se dirigeant non pas vers l'est mais vers l'ouest... outre Atlantique ! Abandonnant sa femme, il emmène avec lui sa maitresse, ce qui fera un scandale retentissant. "Fugue de mon oncle, écrira son neveu Armand, qui enlève une jeune femme, Mme Ch ..." (cette maitresse est un vrai mystère : Cécile Tardif explique dans une note qu'il lui a été impossible de découvrir l'identité de cette femme... Jacques, arrière petit-fils d'Armand, n'a pas plus d'informations à ce sujet...)
Supercherie envers ses supérieurs, sans nul doute, mais Marsick est suffisamment honnête pour écrire au directeur pour tout lui avouer. Dans une missive de la Nouvelle-Orléans, en date de fevrier 1900 ( archives nationales, dossier de professeur de Martin Pierre Marsick), il remet sa démission, se voyant, écrit-il, dans l'impossibilité de rentrer à temps pour les concours. Sa démission est acceptée le 1er avril 1900, ce qui sonne le glas de sa carrière. Marsick,végète pendant quelques années aux Etats-Unis, peut-être à Chicago où vient de s'ouvrir une école belge de violon. Rentré en France au début du siècle, il trouve sans mal des élèves, car sa réputation de pédagogue n'a pas trop souffert de ses frasques, mais ceux-ci se feront de plus en plus rares après la guerre.
Quelles traces matérielles reste-t-il de l'enseignement de Martin Pierre Marsick ? il publie d'abord en 1906 un petit ouvrage intitulé EUREKA, une série d' expériences pour "se mettre en doigts en quelques minutes" (archives BNF) et qu'il déclare être infaillible ! Carl Flesch qualifiera l'opuscule de "grandement problématique", sans en expliquer davantage... Il travaille également à un ouvrage plus important sur la technique du violon, et qu'il annonce déjà dans "EUREKA" ! comme une réforme complète de l'enseignement du violon.
La Grammaire du violon, à laquelle il travaille depuis plusieurs années ne sera publiée qu'en 1924, peu de temps avant sa mort. L'analyse de cet ouvrage dépasse le cadre du présent article.Qu'il suffise d'en souligner le caractère innovateur sur le plan pédagogique, Marsick s'adressant directement à l'utilisateur et fournissant force photographies et illustrations, en particulier sur la position du poignet et la tenue de l'archet.
Brève, brutalement interrompue, la carrière de professeur de Marsick, n'en fût pas moins celle d'un grand pédagogue, comme le rappelle Carl Flesch : " Massart et Marsick ont démontré quels résultats spéctaculaires pouvait obtenir un professeur de premier ordre. En cinq ans, Marsick a formé Thibaud, Enesco et moi-même". ( The mémoirs of Carl Flesch, op.cit., P68 traduction libre).
Marsick, le compositeur
L'activité de compositeur de Martin Pierre Marsick n'est pas primordiale. Au contraire d'un Georges Enesco qui se disait compositeur, et violoniste pour...gagner sa vie, Marsick est d'abord et avant tout un violoniste. Il n'en demeure pas moins qu'il compose une quarantaine d'oeuvres, la plupart de courtes pièces pour le violon, comme cela était d'ailleurs d'usage à l'époque. Son poème de mai remporte du reste un franc succès. Presque toutes ses oeuvres sont éditées, chez Durand, Sénart, Schott, Enoch, etc. (les oeuvres sont déposées à la bibliothèque Nationale de France et à la Bibliothèque Royale Albert 1er).
Il compose également un drame lyrique, le Puits, sur un livret d'Auguste Dorchain , dont il ne semble y avoir aucune représentation ; une pièce pour quintette à cordes, flûte et clarinette, "Souvenir de Naples", op.33 ; un quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle, op.43, dont ce qui pourrait bien être la première audition eût lieu à l'université de Liège dans le cadre des Concerts de Midi de la Ville de Liège, le 23 octobre 1997, avec le concours des Belgian Chamber Artists . (une seconde audition eut lieu le 28 octobre dans le cadre des concerts de l'Automne musical à Louvain-la-neuve. On notera, heureuse coïncidence ! que le violoniste du quatuor, Jerrold Rubenstein, fut premier violon de l'orchestre dirigé par Paul-Louis Marsick, fils d'Armand et petit-neveu de Martin Pierre.)
Les dernières années
impossible d'identifier les différentes personnes présentes ...
Martin-Pierre est à gauche avec un chapeau.
Au dos de cette photo, une inscription au crayon de bois :
"dernière photo".
© Jacques Marsick.
Après la guerre, une chronique intitulée "Vie Chère" remplace dans Le Figaro la chronique "Salons". Un style de vie s'est écroulé, en même temps qu'une multitude de petites monarchies, et l'heure n'est plus ni à la Belle Epoque, ni aux leçons de musique pour jeunes filles de bonne famille. En pleine guerre, en mars 1917, Martin Pierre Marsick a passé le cap des soixante-dix ans. Ses années de vieillesse seront quelque peu tristes, voire pathétiques. Bien qu'il parvienne encore à trouver des élèves, il a constamment peur de les perdre et de voir ainsi fondre son gagne pain. A tel point qu'il refuse même de se rendre chez son neveu à Bilbao pour fêter Noël de 1922. Il joue encore un peu, mais de petites choses sans concéquences dans des concerts de type plutôt "paroissial".
Divorcé de Berthe Mollot , et n'ayant aucun descendant ni héritier à réserve, il a fait un testament, en février 1920, faisant d'une jeune cantatrice, Suzane Decourt sa légataire universelle. C'est à elle, connue dans le monde musical sous le nom de Mitza Rosario, qu'il avait dédié, en 1912, l'une de ses dernières compositions, Pur Amour ...
Sa santé n'est pas très bonne :
"La vie étant de plus en plus pénible, je continue à travailler autant que mes forces me le permettent ; j'ai beaucoup d'amis dévoués qui m'ont entouré pendant ma longue maladie. J'ai eu, entre autres maux, des crises nerveuses terribles qui auraient abattu un boeuf." (lettre à Armand Marsick, 24 janvier 1924).
Le 21 octobre 1924, Martin Pierre Marsick s'éteint à Paris. Le 27 ses obsèques ont lieu à la basilique Saint-Martin, à Liège, là même où il avait été baptisé soixante-dix-sept ans plus tôt. Pendant la messe de funérailles est interprété un Avé Maria qu'il a composé exactement deux mois avant sa mort et qui porte à l'inscription "A chanter à l'Eglise à mon enterrement". Curieusement, dans les dernières années de sa vie, Martin Pierre, lui qui avait souvent dénigré sa terre natale, souhaitait ardemment y revenir. Son voeu est donc exaucé et, sur le parvis de l'église, après les discours d'usage, son corps est sollennelemnt remis à la ville de Liège. Martin Pierre Marsick est inhumé au cimetière de Robermont, dans une concession entretenue à perpétuité par la ville de Liège.
De façon générale, ainsi se terminent les récits biographiques. celui-ci toutefois a une coda quelque peu inhabituelle. Le 4 juin 1933, Jupille-sur-Meuse est le théâtre d'une manifestation hors de l'ordinaire : une plaque est apposée à la maison natale de Marsick et un concert reunit, sous la direction d'Armand Marsick, trois des plus grands violonistes du XXe siècle, Jacques Thibaud, Carl Flesch et Georges Enesco, venus honorer la mémoire de leur professeur.
"Martin Pierre Marsick",
sur sa maison natale
à Jupille-lez-Liège.
©Archives Jacques Marsick
Après les discours d'usage, les trois virtuoses interprètent le Concerto pour trois violons et orchestre de Vivaldi, puis chacun une oeuvre de leur maître. Belle affiche, qui préfigure les desormais célèbres concerts des trois... ténors. Touchante initiative d'Armand. Beau geste de la part de Thibaud, Flesch et Enesco, alors tous trois au faîte de la gloire. Remarquable soutien de la Société Liégoise de musicologie, qui parraine le concert. (Je remercie M. Stéphane Dado, de la société de musicologie, qui m'a remis le programme de ce concert).
"Je lui dois d'avoir compris que l'enseignement est la plus noble des activités artistiques" a écrit Carl Flesch dans ses mémoires. Sans doute ne peut-on rendre plus bel hommage à Martin-Pierre Marsick.
Novembre 1998.
Revue de la Société liégoise de musicologie.